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3. Les déboires et les orientations du Tai-jitsu moderne

 

Nous venons de le voir brièvement, qu'à partir d'un Tai-jitsu originel dont on sait peu se développent plusieurs orientations ultérieures.  Ces orientations sont le fait d'initiatives propres aux « instructeurs héritiers ». 

 

A ce propos, Fabrice CAUDRON nous apporte quelques éléments d'information supplémentaires pouvant éclairer notre entendement. Cet instructeur de Tai-jitsu de Leers nous explique sur son site (Tai-jitsu de Leers) qu'une "Fédération de Tai-jitsu" s'est instituée en 1972 sous la direction de ROLAND HERNAEZ. Cependant celle-ci n'a pu être reconnue. C'est pourquoi, afin de transmettre des diplômes reconnus par l'état et d'organiser des formations  officielles, il a fallut que la discipline soit rattachée à la Fédération Française de Karate. En 1977, un protocole d'accord aurait donc été signé pour que le Tai-jitsu puisse être enseigné sous l'autorité de la dite fédération qui, elle, était reconnue par l'état. En 1981, la première coupe de France de Tai-jitsu aurait été organisée. D'autres déboires surgissent lorsque DANIEL DUBOIS, en 1983, se dissocie de l'enseignement de HERNAEZ pour créer un mouvement qui lui est propre avec le soutien de la FFKAMA. Suite à cette dissension, HERNAEZ aurait donc quitté cette fédération en 1985 pour rejoindre la Fédération de Judo en vue de raviver un "ju-jitsu" défensif qui était, jusqu'alors, mis de côté au profit du judo sportif. Cependant, ce projet aurait été un échec. C'est pourquoi, HERNAEZ revient à la FFKAMA en dénommant son style de "Nihon Tai-jitsu" (authentiquement japonais), prétendant rester fidèle à une pratique originelle, là où le style de DUBOIS serait considéré comme plus proche du Karate.

 

Malgré cette proximité prétendue avec le Karate voulue par DUBOIS, cela ne n'empêchera pas celui-ci de dénommer officiellement  son style de "Tai-jitsu Do" en 2000 et, de ce fait, de quitter la FFKAMA pour rejoindre la Fédération Européenne de Karate et d'Arts Martiaux Traditionnels. Décidément, le rapport avec la fédération de karaté semble très difficile. Difficile également les relations entre les « sensei » eux-mêmes. 

 

Fondamentalement, ce qu'il nous faut retenir, au regard de ces différentes orientations, en accord avec F. CAUDRON, est que le Tai-jitsu reste fondamentalement très identifié et presque identique d'un style à l'autre. L'empreinte du Karaté sur notre discipline, qui probablement à l'origine était davantage orientée vers l'Aiki-ju-jitsu, s'est vue davantage appuyée au fil de ces années. 

 

La question actuelle relative à ces orientations consiste à se demander si un style de Tai-jitsu donné cherche un équilibre entre ses héritages techniques (aiki-ju-karate jitsu) ou s'il est identifié comme tendanciellement orienté de manière prédominante, soit vers l'aiki-ju-jitsu, soit vers le karate.

 

 

4. Le Tai-jitsu et le Karate jitsu

 

Nous venons de voir, à ce stade de notre historique, que la Taï-jitsu (technique du corp) est héritier du Daito Ryu Aiki-ju-jitsu, transmis par UESHIBA (Aikido) à MOCHIZUKI (Aikido ju-jitsu Yoseikan), puis de ce dernier à Jim ALCHEIK (Fédération française d'Aikido, Tai-jitsu et Kendo - FFATK). Dès l'implantation du Taï-jitsu en France, la question de la place du Karate se pose: dans quelle mesure le Tai-jitsu d’ALCHEIK en est-il techniquement imprégné? Nous savons que HERNAEZ, avec sa commission technique relative au Tai-jitsu, officialise et consolide davantage  le contenu technique du Tai-jitsu. Des techniques spécifiques au Karate, voire peut-être même au Kempo, se retrouvent dans le Tai-jitsu.

 

Cependant, depuis la dernière dizaine du XXè siècle jusqu'à nos jours, il est souvent fait référence au Karate-jitsu lorsque le Tai-jitsu est évoqué. Cette évocation reste ambiguë. Le Tai-jitsu est-il intégré au Karate jitsu ou s’agit-il d’un simple rapprochement ? S’il s’agit, dans le premier cas, d’une « fusion » des disciplines, alors le Tai-jitsu se réduirait à un style de Karate, ce qu’il n’a jamais été le cas dès le départ. S’il s’agit d’un rapprochement du fait de certaines « affinités techniques », il est alors nécessaire de rappeler la distinction entre les deux disciplines, tant sur le plan historique que technique.

 

Cette référence au « Karate jitsu » est historiquement récente et véhiculée par la Fédération Française de Karate, mais également par le langage populaire. L’ambigüité dont nous parlons se manifeste lorsque certains instructeurs ou pratiquants assimilent le Tai-jitsu au Karate. D'autres parlent du Tai-jitsu comme du Karate "défensif" ou joignent le terme "Karate" à "Tai-jitsu" (Karate Tai-jitsu) lorsqu'ils parlent du Tai-jitsu. Pour d'autres encore, Tai-jitsu et Karate-jitsu sont deux disciplines proches par certains aspects techniques mais bien distinctes historiquement. Au final, il règne une grande confusion qui nous laisse l'impression erronée que le Tai-jitsu n'est, finalement, qu'un style de Karate. Il est cependant vrai que le terme "Karate" parle plus aux oreilles des profanes que le terme "Tai-jitsu", cette "confusion" est utile à l'économie intellectuelle. C'est pourquoi on peut comprendre que certains instructeurs y font référence pour parler du Tai-jitsu.

 

Mais cette économie peut être source d'ignorance lorsque les discours qui en émanent sont pris au sérieux. Il est également vrai que le Karate a davantage imprégné le Tai-jitsu au fil de son histoire, mais pas au point de se substituer totalement à ses héritages techniques originels. Bref, le Tai-jitsu n'est pas du Karate, ni un style de Karate, mais un art martial qui est imprégné de certaines techniques de Karate. Dans ce cours article, nous entendons développer succinctement ce qu'est le "Karate-jitsu" et le mettre en rapport avec le "Taï-jitsu".

 

Le Karate-jitsu, ou "technique de la main vide" ou "technique de la Chine" ("Kara" étant une province de la Chine de la dynastie des Tang), est une méthode de combat rapproché qui s'est développé à Okinawa depuis le XVIIè siècle. Cette méthode, aussi appelée Okinawa-te, se constitue d'éléments martiaux indigènes et d'éléments importés de la chine (Quan-fa, notamment le Quin na).

 

Pour cette époque, il s'agissait d'un art martial ayant une portée très pratique. Des auteurs comme HABERSETZER distinguent bien le "Karate-jitsu" des styles modernes du XXè siècle auxquels il a donné lieu tels que le "Karate-do" (discipline martiale tendant vers un développement individuel) ou le "Karate" (discipline à visée sportive).   Ce qu'il nous faut retenir est que le Karate-jitsu de cette époque était riche de techniques de frappes, mais également de techniques de clés d'articulation, de projections et d'étranglements. Techniques utiles pour le combat rapproché et dont une grande partie serait absente dans la pratique du Karate actuel. C'est donc en ce sens que le "Karate-jitsu" est proche du "Tai-jitsu ». A contrario, des techniques telles que des coups de pieds portés hauts, des fouettés ou retournés étaient absentes car trop dangereuses pour le combat.

 

Lorsque l'île d'Okinawa fut rattachée au Japon à l'ère Meiji (1868-1912), les japonais ont découvert cette discipline, qui jusqu'alors s'était développée de manière isolée. Cette méthode était alors bien différente du contenu de leurs écoles de "Ju-jitsu" dont le "Tai-jitsu" est issu. Ce transfert vers le Japon aurait été accompagné d'un appauvrissement de la technique et de l'esprit orienté vers le combat.

 

Pour reprendre notre propos de manière plus schématique, le Karate-jitsu est issu d'Okinawa (éléments martiaux indigènes et chinois) alors que le "Tai-jitsu" se développe strictement au Japon. Au XXè siècle diverses disciplines martiales se rencontrent. Les ensembles techniques similaires (technique d'attaques aux articulations, de projection et d'étranglement) se retrouvent dans les disciplines telles que le Karate et le Shorinji, l'Aiki-jutsu et l'Aikdo, ainsi que le Ju-jitsu et le Judo. Ainsi, bien que des interférences ou des rapprochements entre ces disciplines aient pu se faire, retenons que "Tai-jitsu" et "Karate-jitsu" sont bien distincts historiquement.

 

Encore faut-il se demander si le "Karate-jitsu" dont ont parle actuellement en France est assimilé au "Karaté-jitsu" traditionnel? Ou s'agit-il d'un "Karate" moderne orienté vers la self défense? Cette dernière option semble la plus probable. Dans les deux cas, ce qui ressort est la nécessité "pratique" (self défense, confrontation réelle etc.) de ce Karate et la "redécouverte" de techniques "perdues" avec le temps et la transmission.

 

En bref, le terme actuel de "Karate jitsu" fait référence à un Karate orienté vers la self défense. Il s'agit donc de concevoir un Karate qui intègre des techniques plus variées  (clés, projections etc.) que ce que propose le Karate sportif moderne. Retenons que le « Tai-jitsu moderne » et le « Karate jitsu moderne », bien qu'issus de branches martiales distinctes sur le plan historique, se rejoignent quant à la finalité et la ressemblance des techniques employées pour la self défense. 

2.2. Vers la modernité

 

L’histoire aurait commencé avec Minoru MOCHIZUKI (1907-2003) qui débute son instruction de Judo et de Kendo dès son plus jeune âge (entre 1910 et 1912). Il deviendra disciple auprès de Jogoro KANO au Kodokan par la suite, mais également au Gyokushin Ryu (+/- 1924).

 

« Pendant que j’étudiais avec Sanpo Toku, je pratiquais aussi un vieux style de Ju Jutsu appelé Gyokushin-ryu. Ce système donnait une grande importance aux techniques de sacrifice et d’autres techniques ressemblaient à de l’Aikido… » (in Budo International).

 

Apprenant, chez divers instructeurs, le Jo-jitsu, Ken-jitsu et Karaté,  il a parallèlement pratiqué l’Aiki-ju-jitsu  auprès du Maître Morihei UESHIBA, lui-même transmettant les enseignements du Daito ryu (Aikijujutsu) de Sokaku TAKEDA. Cette dernière « filiation martiale » intéresse tout particulièrement l’histoire du Tai-jitsu.

 

« (…) Maître Ueshiba avait reçu du maître Takeda l’autorisation d’enseigner le Daîto Ryu Aiki Ju Jutsu. En 1933, maître Ueshiba m’a remis la plus haute distinction de cette école » (in Budo International).  

 

MOCHIZUKI introduit pour la première fois l’Aikido (tradition du Daito Ryu – Aiki-ju-jitsu) en France en 1951 au Dojo d’Henry PLEE. Il décline la sollicitude de UESHIBA lui demandant de devenir son successeur dans l’enseignement de l’Aikido. En effet, MOCHIZUKI avait pris distance de la nouvelle direction du travail de UESHIBA qui faisait évoluer son Aiki-ju-jitsu ou Aiki-jitsu d’origine vers un Aikido plus philosophique et « doux » (Aikido de l'Aikikai).

 

ll fonde, en 1931, un dojo qu’il nomme Yoseikan où il enseigne, à cette époque, le Judo, l’Aïki-ju-jitsu, le Iaïdo et le Kobudo (Katori Shinto Ryu). A la fin des années soixante, le Karaté y sera également enseigné sous la direction de Maître SANO. Notons que selon certains sites officiels du Nihon Tai Jitsu, il est dit que le Yoseikan Ryu avait une section Tai-jitsu parmi les diverses disciplines qui y étaient enseignées.  Qu'en était-il réellement?

 

Maître Minoru MOCHIZUKI aurait été 10ème dan Aïkido, 9ème dan Ju-jitsu, 8ème dan Judo, 8ème dan Iaïdo et 8ème dan Katori Shinto Ryu. Il serait considéré comme l’un des plus grands Maîtres d’arts martiaux du 20ème siècle. C’est avec Jim ALCHEIK (1931-1962) qu’un « Tai-jitsu » issu de l’enseignement Yoseikan est popularisé et diffusé en France dans les années cinquante, avec l’impulsion du Maître Minoru MOCHIZUKI (Yoseikan Ryu) dont ALCHEIK est élève et représentant en Europe.

Maitre Ueshiba et M. Mochizuki

Maitre Mochizuki

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2.3.2. La disparition de Jim Alcheik et « sa part d’ombre »

 

Une guerre indépendantiste débute en Algérie en 1954. Jim ALCHEIK fut recruté comme agent et envoyé en mission en Algérie par le gouvernement français pour lutter contre l'O.A.S. (Organisation Armée Secrète - groupe armé opposé à la libération de l'Algérie). Cette organisation tenta d'éliminer à plusieurs reprises le groupe d'agents dont ALCHEIK faisait partie. C'est lors d'un attentat à la bombe que Jim ALCHEIK et 17 des membres de son équipe sont morts. A 31 ans, il aurait été en possession d'un 4è Dan en Aikido, 3è Dan en Judo, 2è Dan en Tai-jitsu et en Kendo.

 

A la suite de la mort brutale d’ALCHEIK, ses élèves, dont Roland HERNAEZ, reprennent la suite du travail déjà entamé. Après son décès, à la demande d’Alain FLOQUET (assistant d’ALCHEIK), Hiroo MOCHIZUKI, le fils aîné de Minoru, reste en France pour diffuser l’Aikibudo et le Karaté Shotokan. La continuité de cette implantation du Tai Jitsu en France a été assurée, entre autres, par Roland HERNAEZ.

 

Les histoires « officielles » du Tai-jitsu retiendront surtout le nom de Roland HERNAEZ qui est souvent considéré comme « fondateur » d’un Tai-jitsu « français », occultant le fait que le Tai-jitsu était à l’origine transmis du Japon par Jim ALCHEIK. Cependant, si la contribution d’ALCHEIK à la diffusion du Tai-jitsu est à saluer, nous apprenons une toute autre histoire relative à sa participation aux agissements secrets de son groupe d’intervention en Algérie.

 

En effet, dans les années 50, une guerre clandestine fait rage entre des unités secrètes dirigées par l'Etat français et l'OAS (Oragnisation Armée Secrète), groupe politico-militaire luttant contre l'indépendance de l'Algérie. Ces opérations secrètes usaient de méthodes violentes: assassinats, tortures, attentats etc. Jim ALCHEIK et huit élèves de son dojo furent recrutés par Pierre LEMARCHAND, avocat et ancien commando d'Algérie, pour combattre clandestinement l'OAS.  Un des adjoint de ALCHEIK, un certain Roger BUI-THE sera renommé pour sa cruauté sanguinaire.

 

C'est ainsi que ALCHEIK et son équipe participeront, par exemple, à la torture d'un technicien pétrolier et, probablement, au meurtre du Capitaine MASSENET, responsable OAS pour la région Orléans-Marine. Pour ce dernier, une rumeur non confirmée explique qu'il aurait été tué d'un coup de manchette par ALCHEIK en personne ou par un de ses élèves vietnamiens. L'OAS tentera d'assassiner à plusieurs reprises ALCHEIK et ses hommes. Voici le témoignage de Jacques GOSSELIN:

 

"Je suis métropolitain, né le 2 octobre 1935. Après 28 mois de service militaire en Algérie, notamment dans le sud oranais, j'ai été démobilisé et j'ai trouvé un emploi de chef de chantier à l'U.A.T.P. Je travaillais au lycée de Maison Carrée sur un chantier. en m'y rendant le 29 janvier 1962, vers 8heures du matin, avec la camionnette de mon entreprise, je m'arrêtai au un feu rouge juste avant le pont de Maison Carrée. A ma hauteur vint s'arrêter une "Chambord" dans laquelle il y avait trois européens et un vietnamien. Ils me regardèrent avec insistance. Peu après, ils m'ont doublé et m'ont fait une queue de poisson, en m'obligeant de m'arrêter... Aussitôt ils sont déscendus, armés de pistolets 11/43 et m'ont fait monter dans leur véhicule. j'avais alors compris que j'avais affaire aux fameux barbouzes qui sévissaient à cette époque contre l'OAS, organisation dont je n'ai jamais fait partie. Je ne comprenais pas pourquoije me retrouvais dans cette voiture avec les menottes et pourquoi j'ai reçu un violent coupe de coude sur le nez qui fit gicler mon sang sur mes vêtements (...) Il était environ 13h30 quand nous sommes arrivés à leur P.C. Ils m'ont fait descendre dans une cave, commencé à me boxer la figure. Je recevais des coups de partout (...) Ils m'ont attaché sur un fauteuil dont le dossier et le siège étaient remplassés par un treillis de ressorts métalliques et ils m'ont jeté un sceau d'eau pour me mouiller: j'ai compris que j'étais sur une chaise électrique et qu'ils allaient y mettre le courant (...) J'ai témoigné au procès de TISLENKOFF, fin janvier 1963 et j'ai reconnu sur photo le nommé ALCHEIK: il était parmi les barbouzes qui m'ont arrêté et torturé (...)" [3]

 

ALCHEIK, dit "Lassus" du commando "Talion" opérait dans la villa Andréa, 8 Rue Fabre à El-Biar. L'OAS, après de multiples tentatives, eut raison de lui le 29 janvier 1962. ALCHEIK attendait une livraison de machines d'imprimerie. Les boites livrées étaient remplies de +/-90 kg d'explosifs.  Lorsque l'emballage fut ouvert, une violente déflagration effondra la villa. ALCHEIK et son équipe fut décimée. On compta 19 victimes. Lorsque la police arriva sur les lieux de l'attentat, elle put sauver 3 prisonniers qui étaient voués à une mort probable après interrogatoire.

 

Nous venons de voir un portrait fort contrasté d’ALCHEIK. Le Jim ALCHEIK impliqué dans de sombres et violentes opérations secrètes vient faire ombrage à celui qui a honorablement contribué à implanter le Tai-jitsu (mais également le ju-jitsu, l'aikdo et le karate) en France. Cette part honteuse et obscure du personnage ne serait-elle pas une des raisons pour lesquelles la contribution d’ALCHEIK dans l'histoire des arts martiaux français, spécifiquement pour le Tai-jitsu, est minimisée voire occultée?

Le répertoire technique du Tai-jitsu est également très complet. Nous retrouvons de manière non exhaustive :

 

1)      Kamae waza – techniques des gardes.

2)      Tachi waza – techniques des postures.

3)      Shime waza – techniques des étranglements.

4)      Uke hari waza – techniques des parades.

5)      Kansetu waza – techniques des luxations.

6)      Tai sabaki waza – techniques des esquives et des déplacements.

7)      Ukemi waza – techniques des chutes.

8)      Osae waza – techniques des immobilisations.

9)      Atemi waza – techniques des percussions comprenant :

  1. Tzuki waza – techniques des percussions avec les poings.
  2. Empi waza – techniques des percussions avec les coudes.
  3. Keri waza – techniques des percussions avec les jambes.
  4. Ate waza – techniques des percussions avec les mains.

Les principes biomécaniques et technico-tactiques sont primordiaux également. Ces principes se réfèrent à "comment" une technique est utilisée. Un principe technique est à distinguer de la technique même. En effet, une même technique peut être effectuée de manière très différente d'une école martiale à l'autre, selon le principe général ou l'esprit dans lequel elle est appliquée. Le Tai-jitsu classique (c’est-à-dire un Tai-jitsu complet hors de toute orientation vers le Karate ou le Ju-jitsu) regroupe trois manières de concevoir l'application pratique de ses techniques et, dans l'absolu, sans prédominance de l'une sur l'autre. Ces trois principes s'articulent les uns aux autres pour former le style martial spécifique au Tai-jitsu.

 

1) Principe technique « Ai » ou « Wa »: il s’agit du principe de concordance ou d'harmonie. Egalement appelé principe de la "sphère". Il s’agit d’un principe technique insistant sur la "concordance" de l'individu avec son environnement et avec les assauts de l'adversaire. C’est un principe très proche du suivant dans les anciennes pratiques traditionnelles des arts martiaux japonais (à distinguer des arts martiaux modernes actuels). Les techniques sont composées de clefs et projections, avec déplacements et mouvements à prédominance circulaire et ondulatoire (entrer quand on nous tire, tourner quand on nous pousse etc.). On utilise les forces générées par les attaques de l'adversaire pour les retourner à son encontre. C'est comme si le défenseur se comportait comme une "sphère" pouvant se mouvoir dans tous les sens. La sphère épouse avec concordance les attaques de l'adversaire et l'emporte avec lui, selon le mouvement qu'elle génère. Il s'agit d'un  principe et de techniques clairement issues de l’Aiki-ju-jitsu du Daito Ryu, transmises par Ueshiba à Mochizuki (celui-ci se distanciant de l'Aikido Aikikai moderne telle qu'on le connait actuellement), puis de ce dernier à Alcheik.

 

2) Principe technique "Ju": il s’agit du principe de la "souplesse" ou de levier. Nous parlons du principe de « souplesse » de l'esprit (tactique) et dans la forme gestuelle (technique). Pour parler de ce principe, il est souvent fait référence à la métaphore de "la branche de saule". Imaginez une branche de saule ployée sous le poids de la neige avant de se détendre souplement, une fois libérée de la neige lorsqu'elle tombe. Par ce principe, le pratiquant épouse les attaques de l'adversaire, ne s'opposant pas à ses assauts pour mieux les retourner contre lui (pousser quand on nous tire, tirer quand on nous pousse etc.). Ce principe est très proche du précédent au point que chacun se complète. Les techniques utilisées avec ce principe sont composées de clefs, projections, déséquilibres et de frappes déstabilisantes. Alcheik aurait été formé au Judo (style Kodokan). Or Jigoro Kano (fondateur du Judo moderne) a codifié son judo à partir des Ju-jitsu plus classiques,  supprimant de ces derniers certaines clefs jugées trop dangereuses pour la visée sportive qu'il voulait adopter pour son judo. Le Tai Jitsu a gardé tout le répertoire de percussions et de techniques de luxation originelles.  

 

3) Principe technique "Ken" ou "Ate": il s'agit du principe des percussions telles qu'elles étaient présentes dans différents styles de Ju-jitsu et dans les boxes japonaises (Kempo) et d'Okinawa (Karate). Ceci, bien qu'avec le temps le Tai-jitsu se soit davantage imprégné de techniques du Karate dans beaucoup de pays d'Europe, notamment en France. Les percussions sont primordiales mais non exclusives car elles ne sont pas une finalité pour le Tai-jitsu. Les disciplines de percussions mobilisent davantage des forces où prédominent des techniques d'opposition, renforcement des assises, parades sèches plutôt qu'absorbantes, alors que les deux principes  précédents mobilisent davantage des forces où prédominent la non opposition, les déplacements, les esquives etc.

 

Tout l'art est d'alterner à la fois souplesse-circularité-ondulation-absorption et rapidité-contractions-"kime" (énergie pénétrante) permettant la puissance des coups. Fluidité et "sècheresse" des mouvements. L'assemblage des ces principes fait du Tai-jitsu un art martial complexe et généraliste, car chacun de ces principes est en soi une spécialité.

 

Le Tai-itsu offre un répertoire technique très large pour faire face à des situations d’agressions très diverses : par saisies, par percussions ou en attaques armées (couteaux, bâtons, revolver etc.). Le Tai-jitsu déploie des principes biomécaniques très divers également : maîtrise du centre de gravité en vue d’induire une stabilité des postures, un déséquilibre chez le partenaire, un retournement des forces cinétiques de l’adversaire en son encontre etc. ; alternance des états de souplesse/contractions musculaires en vue d’induire la rapidité des mouvements, la puissance des percussions, la concordance de nos mouvements avec ceux de l’adversaire etc. ; application de mouvements ondulatoires/mouvements linéaires en vue de défenses directes, défenses par esquives etc. ; application des principes de leviers ou de pressions contre-anatomiques (luxations, torsions, étranglements etc.). En bref, les possibilités sont illimitées, et il est alors question des capacités d'adaptation du défenseur et de sa créativité technique.

 

 

Conclusion

 

Notre historique de la discipline reste, à ce stade de rédaction, incomplet et nombre de questions restent encore sans réponses. Il s’agissait surtout, dans ce travail, d’une recherche critique de données historiques en vue de relativiser des discours « populaires » transmis par les autorités fédératives ou des sites internet. Le poids d’une autorité n’implique pas la véracité d’une information qu’elle diffuse.

 

HABERSETZER affirme que le Tai-jitsu ne serait qu’une forme parmi d’autres de Ju-jitsu : « (…) depuis la diaspora des techniques il y a un siècle et l’étude effrénée qui s’en suivit dans chacune des directions propres, un ju-jitsu actuel ne peut être qu’un ju-jitsu à tendance judo, ou aikido ou karaté. ». D'une part, notre historique montre que le Tai-jitsu se veut héritier de techniques plus anciennes (aiki-ju-jitsu du Daito Ryu avec l'enseignement de UESHIBA et de MOCHIZUKI), ce qui infirme partiellement l'assertion de HABERSETZER. D'autre part, ALCHEIK est formé à des disciplines modernes diverses et, bien que le Tai-jitsu ait été transmis comme système indépendant ou lié à l'Aiki-ju-jitsu, on ne peut écarter les interférences techniques avec des disciplines comme le Judo, le Karate voire le Kempo.

 

Enfin, il ne faut surtout pas omettre la pression de certaines politiques fédératives qui voudraient incorporer le Tai-jitsu à un système comme le karaté par exemple (karaté-jitsu, goshin jitsu, ou autres...), faisant perdre son identité première au Tai-jitsu, donnant alors raison à l'affirmation de HABERSETZER.

 

Actuellement, trois orientations modernes du Tai-jitsu (peut-être y en a-t-il d’autres) se distinguent: un Tai-jitsu voulant se démarquer sensiblement du Karaté pour se tourner vers des principes techniques originels (Nihon Tai-jitsu ou Tai-jitsu Do), un Tai Jitsu tourné vers le Karaté (Karate jitsu) et un Tai-jitsu classique cherchant un équilibre entre trois principes biomécaniques et techniques: "Ai ou Wa: harmonie, concordance" - " Ju: souplesse" - "ken : percussion". 

Un historique critique du « Taï-jitsu »

Par David Prado (octobre 2010)

Cet article est à l'origine d'adjonctions encyclopédiques sur Wikipedia

 

Cet article a été publié pour la première fois sur le site de « Tai-jitsu » de Maubeuge en 2010 (http://tai-jitsu-maubeuge.wifeo.com). Certaines parties ont été retranscrites dans les articles de l’encyclopédie libre « Wikipedia » en langue française, espagnole et anglaise. Le travail ici-bas a été entamé à la suite du constat selon lequel le « Tai-jitsu », art martial de self défense pratiqué dans de nombreux pays, est expliqué dans son historique et dans ses conceptions de manière contradictoire. Il s’agit dès lors de questionner ces contradictions afin de mettre à jour, dans la mesure du possible, un fil historique plus clair. Cet article traite du « Tai-jitsu » tel qu’il s’est diffusé depuis la France, à partir du Japon, dans les années cinquante jusqu’à nos jours. Il ne s’agit pas d’une recherche historique au sens stricte du terme mais d’un questionnement sur les écrits, les « discours » d’instructeurs de terrain et sur quelques aspects de la pratique de cet art martial. L’objectif est de mettre à jour une lecture « globale » de l’évolution du Tai-jitsu et de sa définition selon les personnes et les contextes.

 

 

 

Introduction

 

Il ne s’agira pas de reprendre les « discours » communément retransmis par internet ou par une presse popularisée, insuffisamment documentée, mais de recouper et de confronter ces informations diverses afin de les soumettre à une analyse critique. Cet historique sera dès lors incomplet, mais posera malgré tout, là où des béances subsistent, des interrogations dont il appartiendra au lecteur d’en estimer la portée.    

 

    

 

1. Le terme "Tai-jitsu"

 

Selon l’Encyclopédie des Arts Martiaux de l’Extrême Orient, le terme « Tai Jitsu » (Tai : corps – Jitsu : technique – technique du corps) serait, au Japon médiéval, une ancienne appellation générique pour désigner des systèmes de combats à main nue. Le terme « Tai Jitsu », « Yawara », « Koshi-no-mawari », « Ju-Tai-Jitsu » et bien d’autres appellations désignaient donc des systèmes martiaux souvent assez similaires.

 

« Ju-jitsu est, de nos jours, un terme générique englobant toutes les techniques de combat à main nue (à part le karaté, qui n’est venu au Japon qu’au début de ce siècle). En réalité, une foule d’autres appellations recouvraient la même réalité (à partir du XVII siècle) : chogusoku, genkotsu, gusoku, chikarakurabe, nakashi, kogusoku, kempo, toride, yawara, wajitsu, shikaku, kumiuchi, kosh no mawari, aikijitsu, taijitsu, hakuda. »[1]

 

Ce ne serait que plus tardivement, au XVIIè siècle, que le terme « Ju Jitsu » aurait commencé à être employé de manière générique pour désigner l’ensemble des systèmes de combats sans armes. Les termes « Tai Jitsu » et « Ju Jitsu » auraient donc été d’abord employés en tant que dénominations équivalentes, se référant à des systèmes martiaux composites et très proches, le terme « Ju Jitsu » supplantant par la suite celui de « Tai Jitsu ». Le développement historique du « Tai Jitsu », dans une telle optique, serait celle du « Ju Jitsu » dont le « Tai Jitsu » ne serait tantôt qu’une école (Ryu), tantôt qu’un terme générique équivalent au terme « Ju Jitsu ».  Le Tai Jitsu était un des enseignements martiaux qui était jadis inculqué aux « Samourais », guerriers attachés à un seigneur dans la société japonaise médiévale.

 

Ce ne serait que vers la moitié du XXè siècle, avec l’impulsion de Jim ALCHEIK sous les encouragements de Maître Minoru MOCHIZUKI (Yoseikan Ryu), qu’un système nommé « Tai Jitsu » émerge et se diffuse en Europe. Les influences techniques qui ont contribuées à la formation du « Tai Jitsu » d’ALCHEIK sont spécifiques.  Après la mort précoce de Jim ALCHEIK (1931-1962), ses élèves et successeurs, dont Roland HERNAEZ, ont assuré la continuité du travail du maître.

5. Les principes techniques du Tai-jitsu

 

Nous avons beaucoup parlé du Tai-jitsu et de son évolution historique. Mais quel est le contenu technique du Tai-jitsu ? Comment son enseignement s’est-il structuré et quel en sont les principes techniques ?

 

La structure de base des défenses en Tai-jitsu est la suivante :

 

   1) Esquive avec ou sans parade (parade cassante, absorbante ou balayée) d’une attaque à mains nues ou armées (couteau, baton, arme à feu...).

 

   2) Percussion préparatoire (dit également de "atemi de décontraction", percussion presque simultanée à l’esquive). Cette phase vise à perturber les assises psychologiques, musculaires et posturales de l’agresseur. Ceci permet d’enclencher une neutralisation immédiate (le soumettre directement par percussion) ou une neutralisation à l’étape suivante. La frappe "prépare" et "décontracte" musculairement l'adversaire pour pouvoir enclencher une clef articulaire ou autre contrôle. Nous frappons avec toutes les armes naturelles que nous offre notre corps (poing, main, pied, jambe, coude, tête etc.). La percussion est fulgurante et inattendue de préférence. Elle peut être unique ou multiple.

 

   3) Une neutralisation par contrôle (luxation, étranglement, immobilisation, etc.) avec ou sans achèvement (atemi).

 Ces défenses adoptent plusieurs degrés potentiels de « neutralisation » selon l’évaluation du contexte de la confrontation :

 

1)      Réponse à la violence sans blesser l’agresseur.

2)      Répondre à la violence en le blessant légèrement.

3)      Répondre à la violence en le blessant sans retenue.

2. Du "Tai-Jitsu antique" au "Tai-Jitsu moderne"

 

2.1. L'ère médiévale

 

D’après HABERSETZER, confirmé partiellement par Ichiro ABE, l’histoire du développement des arts martiaux au Japon serait décomposable en trois périodes :

 

   a) Techniques primitives et expérimentations : une période où le Japon, miné par de nombreuses guerres civiles, voit l’émergence de techniques de combat primitives et expérimentées sur les champs de bataille. Cette période est comprise entre le VIIè siècle jusqu’au XIIIè siècle. A partir du XIIè siècle, voire le XIIIè, au moment où le Japon voit l’ascension des classes militaires luttant pour le pouvoir, fleurissent déjà des techniques de combat plus construites.

 

   b)  Emergences des « Ryu » (écoles) proposant des méthodes concurrentes : une période (à partir du XIIè) où les techniques sont davantage étudiées et codifiées, des concepts autres que techniques inspirent de nouveaux principes techniques. Cela dans un contexte d’insécurité permanente où des guerres de clans féodaux persistent.

 

   c)  Dérivation des anciennes techniques martiales de leur fonction première, recherche des voies (budo) : au début du XVIIè siècle, les écoles martiales tendent vers des recherches philosophiques, d’éducation et éthiques. Le Shogun Tokugawa Ieyasu instaure une ère de paix jusqu’en 1868.

  

HABERSETZER évoque succinctement l’état des lieux des écoles martiales au XIXè siècle, siècle jusqu’auquel perdure la société médiévale au Japon :

 

« ... un ouvrage paru en 1843, le « Bojitsu-ryu-roku », dénombre au moins 158 écoles majeures d’arts martiaux, divisées en huit grandes familles, dont celle du ju-jitsu ; d’autres sources indiquent une centaine d’écoles du ju-jitsu à la fin des Tokugawa, dont une quarantaine de styles majeurs. »[2]

 

Durant ces périodes, la prolifération d’écoles martiales était souvent le fait d’un Maître justifiant la présentation d’un style de sa composition par l’adjonction d’une innovation technique ou philosophique (souvent déjà présente dans d’autres écoles, parfois plus anciennes), et d’une révélation métaphysique ou religieuse. Les interférences étaient dès lors très nombreuses. Tai Jitsu, Aiki Jutsu, Ju Jutsu, Wa Jutsu… étaient dès lors, en quelque sorte, des disciplines « sœurs » très proches par certains aspects techniques.

 

Le même auteur distingue trois tendances évolutives des divers arts maritaux désignés sous le générique de Ju-jitsu à partir du 19ème siècle :

 

1)   Les styles et écoles martiaux attachés aux traditions médiévales et guerrières du Japon.

2)   Les styles et écoles martiaux tendant vers la modernité, remaniant des éléments de la tradition pour les rendre conformes au contexte de la modernité (aikido, judo, karaté etc.).

3)  Les styles et écoles martiaux qui prolifèrent à partir et en dehors du Japon vers la seconde moitié du XXème siècle.

 

Les prémisses du Tai-jitsu tel qu’il s’implante à France se construisent selon les seconde et troisième tendances.

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Jim Alcheik

2.3.3. L’esprit « yoseikan » au cœur du Tai-jitsu originel ?

 

Pour en revenir aux arts martiaux, comme le Tai-jitsu est un "rejeton" martial du "Yoseikan Ryu", il apparait opportun de préciser ce qu'était l'esprit de cet enseignement au Japon. Lorsque Hiroo MOCHIZUKI (fils de Minoru) arrive en France avec ALCHEIK, il a l'intention d'y implanter les bases de l'enseignement de l'aikido et du karate shotokan (entre autres). Le judo, dont ALCHEIK fut formé (Judo classique de Jigoro Kano), est une recomposition disciplinaire à visée sportive et éducative, épurée de techniques jugées trop dangereuses (ju jitsu classiques) et graduées par ceintures colorées.

 

En ceci, nous pouvons affirmer que le judo s'est composé par un processus de modernisation voulu par Jigoro KANO au Japon. A partir de styles de "ju jitsu" plus classiques, un "judo" est né plus en phase avec l'époque. Ainsi, en Europe, les disciplines martiales furent diffusées et présentées de manière très cloisonnées et remaniées: aikido, judo, karate, kempo etc. Certaines devenant même plus populaires au détriment d'autres.

 

Or, Minoru MOCHIZUKI (Yoseikan Ryu) aurait toujours défendu l'idée de transmettre des connaissances martiales polyvalentes, typique de l'apprentissage des antiques "samouraïs", arts martiaux variés se complétant les uns par rapport aux autres dans leur expression sur la scène d'une confrontation physique. Cette conception des arts martiaux aurait donc été transmise à son fils Hiroo MOCHIZUKI, lorsqu'en France, celui-ci fonde le Yoseikan Budo. Le Yoseikan opterait donc pour une logique de "mixité", de "liaison" ou de "complétude".

 

Comme le Tai jitsu est un "rejeton" martial du Yoseikan Ryu, on en vient à se demander si un tel "esprit" guidait Jim ALCHEIK lorsqu'il s'agissait de la pratique et de l'enseignement du Tai jitsu ? A savoir, la recherche d'une "complétude de techniques martiales variées" telle qu'elle se présentait, jadis, pour le « samouraï »? Peu d'éléments nous permettent de répondre à cette hypothèse, bien que techniquement le Tai jitsu se mixte traditionnellement d'ensembles de techniques qui se cloisonnent dans des disciplines telles que le karaté (boxe d’Okinawa), le ju-jitsu (forme de lutte) et l'aiki-jitsu (art martial des clefs), pour les présenter de manière très caricaturale.

 

Connaitre plusieurs arts martiaux n'est pas une garantie pour savoir les "lier" entre eux lors d'une confrontation physique. Passer d'un style à l'autre demande de l'entrainement. Travailler à cette liaison est une dimension d'importance. Jim ALCHEIK semblait être un budoka polyvalent avant tout. 

 

Au final, "Tai jitsu" reste une dénomination générique englobant divers systèmes martiaux liés entre eux, respectivement à son sens usuel du Japon médiéval. Le Tai jitsu est bien transmis du Japon vers la France par le biais du « Yoseikan Ryu » au Japon (lui-même héritier du Daito Ryu - Aiki ju jitsu ou aikido ju jitsu) et, en France, par le biais de la Fédération d'Aikido, Tai jitsu et Kendo (FFATK). De ce Tai-jitsu initial, quel en était le noyau technique, quels en ont été les apports ultérieurs, quel type d'enseignement était dispensé etc.? Un vide historique persiste. 

 

Chaque « maître héritier » de l'enseignement d’ALCHEIK insistera davantage sur sa propre touche personnelle ou argue qu'il reste porteur d'une tradition inchangée. Il nous faut donc tenir compte d'un biais d'importance dans des témoignages qui peuvent apparaitre contradictoires. En effet, compte tenu que bien de ces « témoins » fondent leur propre école ou style martial, dans quelle mesure le contenu de leurs récits est-il orienté vers un intérêt visant à valider le bien fondé historique de leur « création » ?

Minoru Mochizuki 

(Yoseikan Ryu)

2.3. Transmission du Tai-Jitsu vers la France : Jim Alcheik

 

2.3.1. Les débuts

 

Le Maître Jim ALCHEIK serait né à Duperré (actuellement appelé Aïn-Defla), un village algérien, en 1931 alors que l'Algérie était une colonie française. A l'âge de trois ans, il part avec ses parents à Paris où il y passe la majeure partie de sa vie scolaire. Formé au Judo, il donne en 1948, avec le Maître Raymond Sasia, des cours au club "l'Alhambra" à Paris. Lors d'un voyage de MOCHIZUKI en 1951 en vue d'y enseigner son système d'Aikido, ALCHEIK décide de suivre son enseignement. Il partira se former au Japon avec le Maître durant trois ans à Shizuoka, où il fut admit au Dojo Yoseikan. Durant cette période, ALCHEIK a pu également parfaire sa formation de judo auprès du Maître Tokio HIRANO.

 

En 1954, il régressa en France accompagné de divers Maître Japonais (dont Hiroo MOCHIZUKI, fils de Minoru avec qui ALCHEIK a traité la plupart du temps). En 1957, il ouvrira un Dojo à Paris où l'Aikido Yoseikan, le Tai Jitsu, le Kendo, le Karaté et le Iaido seront enseignés. Cette période reste très floue mais ce qui semble certain est que la Fédération Française d’Aikido, de Tai-jitsu et de Karate (FFATK) fut fondée.

 

Certaines sources (sites espagnols de Tai-jitsu) énoncent que ALCHEIK enseigne l'Aikido et le Tai-jitsu de manière distincte, respectivement aux enseignements du Yoseikan. Le Tai-jitsu serait dès lors une discipline constituée comme telle et qui, par ailleurs, apparaît dénommée très distinctement dans l’intitulé de la Fédération dès 1957 ou 1958. D'autres tels que FALOURD ou LOMBARDO expliquent qu'il diffuse l’enseignement de MOCHIZUKI en usant de dénominations telles que « Aikido Ju-jitsu », « Aikido karate » ou « Aikido Tai-jitsu », comme si une synthèse était entrain de se produire pour donner forme à un Tai-jitsu à l’origine incertain. Qu’en était-il réellement ?

 

Selon une version ou l’autre, soit nous avions affaire, à l'origine, à une discipline spécifique déjà construite comme telle ou dans un second cas de figure, à une synthèse d'ensembles techniques différents donnant naissance à la discipline. Nous ne savons pas ce qu'il en est réellement. Quoi qu'il en soit, il créera bel et bien la Fédération Française de Tai Jitsu en 1957. 

 

Dans un courriel échangé avec Claude FALOURD, élève de Jim ALCHEIK, celui expliquait que le « Tai-jitsu » d’ALCHEIK était un générique incluant l’Aikido-ju-jitsu.

 

« Comme vous avez pu le constater sur mon site, le tai-jitsu n’est en fait qu’un générique de l’Aikido-jujitsu créé par Minoru MOCHIZUKI Meijin et diffusé en France et en Europe dès 1950, puis ensuite par Jim ALCHEIK dès son retour du Japon… ces termes (Tai-jitsu) peuvent donc s’appliquer à tous les arts martiaux (…) après le décès de Jim ALCHEIK c’est un de ses élèves, Roland HERNAEZ qui a repris le terme tai-jitsu en utilisant les techniques de l’aikido-jujitsu et du karate entre autres. » (Courriel échangé en Mars 2011)

 

Bref, nous en revenons à l’histoire officielle. Par Tai-jitsu, ALCHEIK entendait Aikido-ju-jitsu selon FALOURD. Pourquoi alors utiliser le terme Tai-jitsu et pas celui d’Aikido-ju-jitsu dans l’intitulé de sa fédération ? A l’origine, par Tai-jitsu, ALCHEIK et MOCHIZUKI entendaient-ils la liaison d’arts martiaux divers ? Quel en était le contenu technique ? Quel était ce "tai-jitsu" enseigné à la FFATK?  Etait-ce un Tai-jitsu déjà codifié (Yoseikan), empruntant des techniques multiples et qui se complétaient les unes par rapport aux autres? Ou était-ce un Tai-jitsu "brouillon" en voie de construction, mélangeant diverses disciplines? Peu d’informations nous permettent d’éclairer cette question. Ce qui est certain est qu’une discipline nommée « Tai-jitsu » est en vigueur dès le retour d’ALCHEIK du Japon et que la transmission se fait bel et bien du Japon vers la France.

Hiroo Mochizuki (Yoseikan Budo), fils de Minoru Mochizuki

2.4. Les héritiers de l’enseignement d’Alcheik

 

Il est communément considéré que le « fondateur » d’un « Tai-jitsu français » est Roland HERNAEZ. Roland HERNAEZ est né en 1934. Il commence les arts martiaux en 1951 par le Judo et le Ju-jitsu. Il ensuite démarre la pratique du Karaté, de l'Aikido et du Tai Jitsu qu'il découvre auprès de Jim ALCHEIK. En 1960, une commission technique dirigée par HERNAEZ travaillera à organiser – et non pas « inventer » – le contenu technique diffusé par ALCHEIK et à en concevoir une structure pour un enseignement rationalisé.

 

« En effet, travaillant à fond l’Aikido Yoseikan je restais souvent quelques heures de plus au Dojo de l’avenue Parmentier à Paris pour m’initier avec de rares « mordus » à cette discipline complètement inconnue alors : le TAI-JITSU ou technique du coprs. Après la mort accidentelle de mon professeur et ami Jim ALCHEIK, je me suis senti la responsabilité de continuer dans la voie qu’il avait tracée patiemment, j’ai remodelé les acquis pour créer une méthode cartésienne. J’ai la fierté aujourd’hui de dire que cette méthode de self-défense, issue du JU-JITSU des samouraï est respectée dans le monde entier qui lui reconnaît son efficacité, sa progression, ses principe, sa hiérarchie et aussi son esprit particulier. »[4]

 

Cette méthodologie aurait été approuvée par le Maître MOCHIZUKI. Au Yoseikan, HERNAEZ aurait suivi des stages par la suite. Il aurait également enrichi son Tai Jitsu du Shiorinji Kempo. Sur le site du Nihon Tai Jitsu, HERNAEZ déclare s’être séparé de la FFKAMA en 1985 du fait d’un manque de liberté au sein de la fédération. Il rejoindra à nouveau cette fédération en 1988, époque où serait déjà évoquée l’intégration du Tai Jitsu au Karaté Jitsu, intégration qui pose question.

 

A ce jour, Maître Hernaez serait officiellement 4ème dan de Judo, 4ème dan d’Aikido, 7ème dan de Karate-jutsu/Nihon Nai-jitsu, 1er dan de Shorinji-kempo, et diplômé d'état 2ème degré dans 3 disciplines (Judo, Aikido et Karate). Le Maître Minoru Mochizuki lui aurait remis le titre de Hanshi, plus haut titre dans le Budo Japonais. D’après le site officiel du Nihon Tai Jitsu, le Tai Jitsu aurait été reconnu par la Fédération Internationale des Arts Martiaux, la Seibukan Academy et par la « International Federation Nihon Budo ». Il qualifiera son Tai Jitsu de « Nihon » (authentiquement japonais), voulant ainsi rapprocher la discipline de ses origines techniques japonaises.

 

La Commission Nationale de Tai-jitsu, au sein de la FFKAMA sera, à la suite de HERNAEZ, dirigée par Daniel DUBOIS et ensuite par Bruno HOFFER. Selon DUBOIS, « Le Tai Jitsu est un art martial français dans sa conception mais fondé sur des techniques japonaises… ». Sans minimiser les apports programmatiques de la commission technique française, cette optique occulte la transmission originellement japonaise de l’enseignement du Tai Jitsu. C’est en ce sens que le conçoit HABERSETZER lorsqu’il fait état de l’essor du Tai-jitsu en France.

 

« Le tai-jitsu : contrairement à son nom et à ce que peuvent en dire certains de ces adeptes, le tai-jitsu n’est pas une méthode d’origine française ( !). Tai-jitsu a toujours été l’un des synonymes japonais du ju-jitsu (tai=corp, d’où « technique du corps ») ; quant aux techniques proprement dites, également issues du judo, de l’aikido et du karaté, le tai-jitsu prétendument « français » est tout simplement un amalgame de plus, au demeurant assez séduisant »[5].

 

En ce qui concerne la contribution de HERNAEZ, c’est la définition d’un programme d’apprentissage qui a été conçu. Dans quelle mesure peut-on parler « d’inventivité »? Par ailleurs, quel était ce « Tai-jitsu » qu’enseignait Jim ALCHEIK ?

 

A la suite de Jim ALCHEIK, chaque instructeur reprenant le flambeau de la transmission du Tai-jitsu voudra mettre une touche personnelle au programme de son enseignement. A côté d’un Tai-jitsu classique (au-delà de toute orientation vers le karate ou l’aiki-ju-jitsu), HERNAEZ fonde donc son école de « Nihon Tai-jitsu », DUBOIS développera le « Tai-jitsu Do » et la Fédération Française de Karate cherchera à rapprocher le Tai-jitsu au Karate-jitsu (Karate « défensif »).

 

Il est à noter que dans la plupart des références aux orientations modernes du Tai-jitsu, la contribution de Jim ALCHEIK est minimisée, lorsqu’elle n’est pas totalement occultée. Ce flou initial et ces distorsions historiques favorisent des idées reçues et des discours totalement ou partiellement erronés tels que « Le Tai-jitsu est une invention française », « Le Tai-jitsu est du Karate au départ », « Le Tai-jitsu est une synthèse de Judo, Karate et d’Aikido » etc.

 

Roland Hernaez

Daniel Dubois

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[1] HABERSETZER, « Le guide Marabout du ju-jitsu et du kiai », Edt. Marabout, Verviers, 1969, p. 18.

[2] HABERSETZER, « Le guide Marabout du ju-jitsu et du kiai », Edt. Marabout, Verviers, 1969, p.17.

[3] Alexandre TISLENKOFF, "24 heures chez les barbouzes, j'accuse Lemarchand.", Edt. Saint-Justin, s.l., 1966.

[4] HERNAEZ R., « Le Nihon Tai-jitsu », Budo éditions, Noisy-sur-Ecole, 2006, p. 7.

[5] HABERSETZER, « Le guide Marabout du ju-jitsu et du kiai », Edt. Marabout, Verviers, 1969, p.47.

 

 

Bibliographie

 

DESHIMARU T., « Zen et arts martiaux. », Edt. Seghers, Paris, 1977.

DOSHIN SO, « Qu’est-ce que le Shorinji Kempo ? », Edt. La maison du judoka, Asnière,   1972.

GAURIN O., « Comprendre l’Aikido. », Edt. Budo, Noisy-sur-Ecole, 2007.

LASSERRE R., « Atemis et jiu-jitsu. », Edt. Judo, Toulouse, 1964.

LOMBARDO P., « Encyclopédie mondiale des arts martiaux. », Edt. E.M., Paris, 2006.

HABERSETZER G. & R., « Encyclopédie des arts martiaux d’extrême orient. Technique, historique, biographique et culturelle. », Edt. Amphora, Paris, 2004.

HABERSETZER R., « Le guide marabout du ju-jitsu et du kiai. », Edt. Marabout, Verviers, 1978.

HABERSETZER R., « Le guide marabout du Karaté. », Edt. Marabout, Verviers, 1969.

HABERSETZER R., « Karate-do. », Edt. Amphora, Paris, 1982.

HERNAEZ R., “Le Ju Jitsu: des origines aux XXème siècle. » in www.nihon-tai-jitsu.com, article imprimé du site le 27/09/2006.

HERNAEZ R., « Le Nihon Tai-jitsu », Budo éditions, Noisy-sur-Ecole, 2006.

HOFFER B. & VIGNON M., « Le grand livre du Tai Jitsu. Art martial de self défense du Karaté Jitsu. », Edt. De Vecchi, Paris, 2002.

MUNIZ GONZALEZ J., « Tai Jitsu. Defensa personal. Metodologie tecnica y pedagogia didactica.

Revue « El budoka » n°383, 2008 

Revue « Budo international », Barcelone, Espagne, 150, Février 2008

Revue « Budo international », Barcelone, Espagne, 152, Avril 2008

Revue « Budo international », Barcelone, Espagne, 154, Juin 2008

Revue « Budo international », Barcelone, Espagne, 180, Janvier 2008

Revue « Ceinture noire », n°55, Janvier-Février 2008

TOKITSU K., « La recherche du Ki dans le combat. », Edt. Desiris, Paris, 2004.

TOKITSU K., « Méthode des arts martiaux à mains nues. », Edt. Robert Laffont, Paris, 1987.

VILLADORATA M., « Aikido. », Edt. De l’Homme, Ottawa, 1973.

www.fr.wikipedia.org – Encyclopédie internautique – informations récoltées le 02/11/2008 Articles « Tai Jitsu », « Yoseikan budo » & « Karaté ». Il est à noter que certains apports  écrits (du 20/09/2010) ont été effectués sur les articles "Tai jitsu" de l'encyclopédie à partir de cet article.

Página sobre Jim Alcheik: http://perso.infonie.fr/butcus/index.html

Recueil de témoignages oraux de divers enseignants de Tai-jitsu en Belgique, France et Espagne, lors d'échanges interclubs, cours ou stages.

 

 

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